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Dans les grandes lignes (sans jeu de mots), le manuscrit Voynich est un petit volume in quarto d’environ 15 cm sur 23 cm, et contient 246 pages. Il est possible que le manuscrit ait contenu environ 262 pages.

Il y a 33 pages contenant seulement du texte, avec parfois en marge des éléments picturaux, et 212 pages avec du texte et des dessins combinés. La dernière page semble être l’équivalent d’un sommaire, d'une table des matières.

Le texte, à ce niveau, ce n’est plus une nouveauté pour le lecteur, est crypté, chiffré, ou inventé, et nous ne pouvons pas a priori en extraire le sens littéral. Il faudrait plutôt dire, que depuis près de 500 ans, nul n’est arrivé à donner un sens à ce manuscrit, que ce soit John Dee (savant du XVIe siècle), ou les ordinateurs actuels. Les ordinateurs seuls ne font rien d’autre que reproduire à des vitesses très rapides le cheminement de la pensée de celui qui les a programmés. Et donc, aucun chercheur, aucun scientifique à ce jour n’a réussi à véritablement produire des phrases significatives et qui ne laisseraient pas de place au doute quant au sens éventuel du texte.

Le contenu du manuscrit est réparti en quatre catégories. La première est la plus grande section et comprend près de 130 pages de textes et de dessins floraux. On la nommera « section Botanique ». La seconde contient 26 pages de dessins, manifestement sur l’astrologie et l’astronomie, si tant est que l’auteur du manuscrit ait pu faire cette différence. Il s’agira donc de section « Astrologie ». La suivante qui se compose de 34 pages de dessins orientés sur la pharmacopée. C’est la section « Pharmacologie ». La suivante est clairement "Astrologique et zodiacale".
La dernière section de 23 pages est uniquement du texte en courts paragraphes, chacun commençant par une étoile. Le sommaire est la 24e page de cette 5e section.

Concernant la pagination, écrite en chiffres arabes, ceux que nous utilisons tous les jours, elle serait postérieure à la rédaction du manuscrit. Attribuer cette pagination à John Dee n’est pas déraisonnable dans l'état actuel de la recherche, mais ne peut être affirmé à coup sur. Quoi qu’il en soit, même s’il est clair que la pagination n'est pas celle de l'auteur du manuscrit, cette numérotation n’est pas fondamentale dans la compréhension de ce manuscrit, sauf peut être qu'elle est lisible "normalement".

Sur l’écriture en tant que telle, c’est une graphie cohérente. C’est-à-dire qu’il y a unité dans les lignes de texte sans qu’aucun signe détonne par rapport aux autres. Ce langage, cet alphabet, cette forme d'écriture, qu’il ait ou non un sens, est écrit comme s’il s’agissait d’un alphabet occidental classique.


Il faut constater que ce livre, atypique, n’a rien de commun avec les manuscrits et enluminures de cette époque. D’abord, les lignes de texte sont relativement horizontales, même si sur certains paragraphes, plusieurs lignes de texte ne sont pas parallèles. Soit l’auteur n’a pas été consciencieux en ne traçant pas les lignes de portée, soit avait l’habitude de la chose écrite et n’avait pas besoin de ces lignes de portée, et s’est appliqué du mieux qu’il put. L'on a beaucoup évoqué autour du manuscrit le nom du moine franciscain Roger Bacon en tant qu'auteur dudit manuscrit. S’il a travaillé en tant que copiste, on pourrait supposer qu’il aurait appliqué à de possibles parchemins enluminés les techniques de mise en page du texte, avec des dispositions de lignes bien calculées.

Concernant la graphie, il s’agit de lettres rondes. La direction des lettres formées est de gauche à droite. Le sens est bien visible sur les traits de plume. De plus, les fins de paragraphe sont à gauche, donc l'espace libre à droite, comme dans notre écriture actuelle.
Le sens de cette remarque est de constituer progressivement tout au long de la présente étude les plus grandes certitudes possibles afin de tenter de déchiffrer ce manuscrit par les détails qui ne trompent pas et laissent des indices. Un profane qui prendrait les écrits de Léonard de Vinci en essayant de déchiffrer les caractères étranges ferait une faute en ne s’apercevant pas que le texte à lire doit être lu… dans un miroir pour rétablir le texte dans un sens de lecture conventionnelle.
Le scripteur du Manuscrit Voynich n’a pas eu l’intention ici de jouer sur l’axe de l’écriture : pas de symétrie verticale ou horizontale, ni pour les lettres, ni pour les paragraphes ou même les pages elles-mêmes.

Quatre types de lettres se distinguent nettement : les lettres rondes et fermées. La seconde catégorie est celle des lettres ouvertes. Puis il y a les lettres croisées et enfin, les arabesques. Le style de l’écriture se rapproche plus de l’onciale, de la caroline, tant sur la rondeur des caractères que sur l’inclinaison des traits de plume

Les lettres
Les lettres de type 8 et « Alpha » représenteraient le plus un rappel historique avec l’alphabet grec. L’auteur n’a pas pu se départir d’alphabets connus. Il est a peu près admis que le texte est composé de deux styles proches mais cependant suffisamment différents pour relever ce point. La différence entre les styles d'écriture dans les deux parties principales du manuscrit montre l'inventivité (relative) de l'écriture. En effet, les statistiques des styles dits « Hand A » et « Hand B » (cf. ci-dessous) font ressortir une organisation des lettres différentes. L'on pourrait aisément faire des statistiques sur les écrits de nombreux auteurs pour s'apercevoir qu'ils ne changent pas fondamentalement de style d'écriture. Le style reste, la forme peut naturellement évoluer.

Les lettres que l'on voit sont un rattachement au passé pour asseoir un alphabet inventé (à inventer), et non un alphabet créé ex-nihilo. Si l'on prend certains formes comparées à des graphies grecques ou romaines, l'on verra parfois des rapprochements suffisants pour conclure que la base de l'écriture est alphabétique, basée sur l'écriture européenne et latine.

Les lettres en forme d’arabesques sont ici le caractère inventif du scripteur. L’emphase, la prédominance du signe grandit le texte, agrandit tout le texte pour mieux révéler l’importance de la page, des pages et de l’entièreté du manuscrit.

On ne trouve pas d’accentuation comme dans les écritures sémitiques ou arabes. Il n’y a pas eu ainsi d’influence extérieure ou étrangère, ou du moins visible sur le manuscrit, tant sur l’écriture que sur les dessins des nymphes pour prendre un détail présent dans de très nombreuses pages. On aurait pu s’attendre qu’un esprit éclairé, si le manuscrit datait d’après 1492, qu’il ait pu être influencé par les écrits des grands découvreurs de l'est ou l'ouest européen. Il n’y a donc pas eu volonté quoi qu’il en soit de produire un document faussement extérieur au pays ou à la culture où il a été rédigé.

Un seul scripteur ?
Nous devons aussi nous poser la question de savoir s’il y a eu une main ou plusieurs à la rédaction de ces pages. L’étude détaillée montre qu’il s’agit d’une même personne, ou au moins d'un même esprit. Entre plusieurs pages situées en début de manuscrit et celles de fin du manuscrit, l’écriture est similaire (ce qui ne veut pas dire identique) : par exemple, la lettre en forme de 8 garde sa même inclinaison vers le haut sur la boucle supérieure. De même que le premier segment de la lettre « alpha inversée ».
Les traits en fin de volume (2e partie) sont plus allongés, ce qui signifie que l’auteur était bien familier avec sa nouvelle écriture, et était à l’aise.
Depuis de nombreuses années d’étude du manuscrit, tous s’accordent à dire que deux styles se succèdent : style A et le style B (Hand A, Hand B). En effet, la forme de certaines lettres, d’autres formes un peu nouvelles se font jour. Glen Claston montre que le bigramme « 89 » (les lettres ressemblent à 89) apparaît statistiquement dans des proportions très différentes dans les pages A et les pages B, bien cela ne suffise pas à qualifier à notre avis la présence de deux auteurs pour la rédaction du manuscrit. La phraséologie et par conséquent l'organisation littérale pourrait-elle raisonnablement changer si le sujet des pages était différent ? Par exemple, l’analyse statistique des fréquences de lettres montrerait-elle une distorsion entre "Les Misérables" de Victor Hugo, et du même écrivain « Notre Dame de Paris » écrits à 30 ans d'écart ? Peut-être les mots, le rythme, le style mais fondamentalement il utilise un vocabulaire plutôt fourni par rapport à la moyenne, et constamment en français.

A vrai dire, peu importe qu’il y ait ou non deux écritures dans le manuscrit Voynich. En effet, ne connaissant pas la genèse du manuscrit, ni l’auteur, ni le contexte, on se sait donc pas s’il s’agit d’une œuvre initiée, puis poursuivie quelques années après par le même auteur, ou bien si le manuscrit a été d'un bout à l'autre "co-rédigé", ou bien si le premier auteur étant devenu non-voyant, il ait pu dicter à un compagnon la suite du travail qu’il avait originellement entrepris. On pourrait aussi supposer un décès du premier auteur, et la poursuite du travail par un « disciple », ou un travail collectif dans lequel une personne aurait fait une erreur de chiffrement. Toutes les hypothèses sont ouvertes, et dans le cas où il y aurait bien deux auteurs, il n’en reste pas moins que l’ensemble est cohérent, et qu’il reste encore à ce jour indéchiffré !

Séparation des mots
Cette remarque concerne ici aussi l’écriture en dehors du sens qu’elle recouvre. Il fallait vérifier si déjà au XVe siècle, les mots d’une ligne étaient ou non séparés. En effet, jusqu’au XIe siècle, les mots entre eux étaient écrits sans espace blanc, rendant difficile de nos jours la lecture des textes. L’examen d’autres manuscrits datant de 1400 et au-delà montre que la séparation des mots était déjà effectuée. Ainsi, il n’y a pas d’aberrations chronologiques de notre hypothèse.

Sur la création des caractères, et de nouveaux caractères :
Entre la page 16, donc au début du manuscrit et la page 106 par exemple, donc à un stade plutôt avancé, la graphie est la même. Pas de caractères nouveaux, comme si l’alphabet avait été crée auparavant, et que l’auteur s’en est tenu à sa pure création. Il n’a donc pas en cours de rédaction fait entrer un nouveau signe, quitte à les garder par la suite. Le projet fut bien préparé et médité. La page 66 fait apparaître un signe en forme de Y inversé, mais ce caractère dans la marge de la page n’apparaît qu’une seule fois dans le texte. Soit l’auteur a jugé suffisamment utile la consistance de son alphabet pour faire aboutir son œuvre, soit l’entrée d’un nouveau signe était à même d’en faire rentrer d’autres, et ainsi de perturber l’écriture par une mécanique moins spontanée et régulière. Et finalement, posons-nous simplement la question de savoir si l'auteur ait pensé à la cohérence pleine et entière de son oeuvre.

L'écriture montre deux phases dans la rédaction, mais n'en change pas le sens mystérieux de l'ouvrage, mais ni propose un indice pouvant éclaircir la signification du texte.

Description plus détaillée de chaque section

a) Section Botanique

Les plantes dessinées respectent en général les couleurs naturelles, avec cependant parfois, sur les racines un grenat léger. L’on voit très souvent la plante entière : feuilles, tiges et racines. Les plantes offrent parfois des compositions multiples avec des feuilles différemment dessinées. Page 16, l’exemple est remarquable : des feuilles en étoiles à huit branches sur une tige simple, puis en haut de la plante, des fruits, sept par ramification, dans un ensemble de petits grains bicolores. La racine est une sorte de pied de table en forme de cactus.
Page 93, une tige plus complexe supporte 7 feuilles de part et d’autre, larges et tombantes. Le haut de la fleur ressemble à un champignon en forme d’éponge, à spore. Les racines sont ici très longues et fines.
La page 100 est caractérisée par la présence de 17 plantes et fleurs différentes, dont une pourrait être un liseron par sa forme enlacée, mais les feuilles sont ici trop pointues, comme ressemblant à des flèches. Chaque plante porte un nom. Il ne s’agit donc pas de l’évolution d’une plante, ou d’une logique horticole faisant varier la transformation de plante.
La page représentant une forme de tournesol comporte à sa base des fleurs en étoile de mer et en corolle, avec la particularité que le nombre de branches de ces étoiles n’est pas identique d’une fleur à l’autre. Les racines sont très étranges : elles ressemblent à des boules de fléaux, c’est à dire des boules et des pointes, sauf qu’ici il s’agit de petits tubes ouverts couvrant toutes ces boules. Là aussi, le nombre de tubes est différent d’une racine à l’autre. Des esprits plus contemporains auraient certainement compris que les caractéristiques de plantes sont globalement invariantes. Mais il n'est pas à exclure que dans le schéma global d'inventivité du manuscrit, l'auteur ait voulu représenter des plantes si étranges qu'aucune d'entre elles ne soit constante dans ses caractéristiques.

D’autres descriptions rendraient tout aussi surprenante l’imagination de l’auteur du manuscrit. Les plantes envahissent le texte, ou en général sont dessinées de manière imposante sur la page. Elles sont un élement fort du sens et du contenu du texte, sans lequel le manuscrit ne produirait aucun effet à celui qui l'aurait.

b) Section Astrologie

La composition générale de ces feuillets est essentiellement des cercles avec en leur centre un dessin plutôt clair et non inventé.
Sur le feuillet 69, 45 ovales à l’extérieur du cercle, mais contenus dans 12 quartiers et leurs libellés sur la circonférence du cercle. Un soleil central à 6 branches, soit un multiple de 12. Autant l’on peut approcher 6 et 12 de notre actuel calendrier, autant 45 est un chiffre difficile à positionner sur notre calendrier.

Le feuillet précédent, N°68, comprend dans un cercle 8 quartiers qui comprennent essentiellement des étoiles à 6 branches et leurs appellations sur la périphérie du cercle. Le centre est une sorte de trèfle à huit feuilles.

Les feuillets qui font clairement référence au zodiaque sont chargés picturalement. Des cercles, comme précédemment. Au centre, en un dessin assez clair, le signe du zodiaque. Plusieurs cercles concentriques chargés et donc plusieurs niveaux. Sur celui du Poisson, sur la périphérie extérieure figurent des noms ou des appellations. Puis sur le niveau inférieur, 19 femmes nues, que nous nommerons nymphes. Elles sont, chacune, dans une sorte de tonnelet, de baignoires avec des motifs différents pour chacune d’elles. Une étoile est rattachée à chaque baignoire. Sur le cercle concentrique inférieur, 10 nymphes, nommées également, avec une particularité étrange à saisir, que leur tonnelet, ou leur baignoire, sont non plus posés mais couchés, renversés. Les poissons sont au centre, au nombre de deux. 29 nymphes en tout. Ce chiffre peut sembler être une erreur de composition eu égard aux commentaires qui suivent sur les autres signes d'interprétation.

Le signe de la Balance est étrange. On retrouve la même structure définie ci-dessus. Les nymphes sont ici débout, la main droite sur la hanche et elles tiennent dans la main gauche une étoile, sans corde, contrairement au signe des Poissons. 20 nymphes sur le premier cercle, et sur le plus petit, moitié mois, 10 nymphes. Mais la pose reste la même. Le total des nymphes dessinées est de 30.

Le signe du Scorpion est constitué par trois cercles concentriques, et non plus deux. 12 nymphes sur le cercle extérieur, 11 sur le médian, et 7 sur l’intérieur. 30 nymphes, là aussi au total.

Sur le signe du Capricorne, 15 nymphes dans une position différentes : les nymphes sont habillées et ne sont donc plus nues. Elles sont dans un contenant circulaire (tonnelet, baignoire). Le signe du Bélier est de même nature. Celui du Taureau également. Faut-il en déduire que les animaux cornus sont affiliés au chiffre 15 ? A ce stade, il faut l’accepter, même en l’absence de sens.

Celui du Lion, 30 nymphes également, mais ici, 4 nymphes (ici elles sont nues) dominent la composition circulaire. Le signe du Sagittaire présente la même structure.

Le signe des Gémeaux est particulier : le centre, les Gémeaux, est composé ici aussi d’un double motif (et pour cause puisqu’il s’agit des Gémeaux) : celui d’un homme et d’une femme, habillés. On retrouve toujours 30 figures humaines, tenant une étoile. Il y a une majorité de nymphes, mais l’on voit aussi trois figurations avec des pagnes et un homme nu. Les étoiles sont à huit branches. C’est le signe le plus discordant en comparaison des autres.

L’addition de 12 planches qui comportent chacune 30 nymphes donne 360 figures (360 jours). Or dès l’antiquité, l’année de 365 jours était connue. De deux choses l’une : ou il s’agit de la création d’un nouveau calendrier ou l’auteur n’avait pas de connaissances scientifiques astronomiques. Dans le premier cas, il aurait passé outre une vérité scientifique, connue et démontrée que l’année solaire a bien 365 jours (Cesar avait rajouté l’année bissextile pour composer tous les 4 ans un jour en plus). Si le recueil avait une vocation alchimique, liée à la lune (et donc au soir, aux incantations nocturnes, au secret …), l’on aurait un calendrier lunaire, composé de 12 périodes de 29 jours, soit 354 jours au total, et donc moins que les nymphes du manuscrit.

Dans les rites alchimiques, la position du zodiaque a une importance importante : dans son livre sur « Alchimie & Mystique » d’Alexander Roob (Editions Taschen), il est noté que les 3 parties de l’opus sont :

* signe du bélier, avec le corps en putréfaction
* signe du lion : union de l’âme et du corps
* signe du sagittaire : naissance du corps spirituel, l’élixir ou l’or liquide de l’éternelle jeunesse

L’alchimiste, Nicolas Flamel, note que la matière alchimique doit traverser douze portails ou cycles avant que la matière ait sa consistance définitive. 12, bien sur, est le corollaire du nombre des signes du zodiaque. Les métaux sont la contraction des forces planétaires. Celles-ci représentent la nuit, symbole du confinement et du secret, mais aussi l'inacessible et pourtant le visible.
L’ouvrage du XVIe siècle de Ripley, indique que la préparation de « l’or potable », qu’il faut lire comme étant l’élixir de longue vie, doit passer par les douze portes du processus, chaque signe du zodiaque apportant une contribution à l’évolution de la matière.

Un manuscrit hébreu du XVe siècle énumère pour chacun des 12 signes du zodiaque, les influences sur le corps : le dos, la rate, la colonne vertébrale, la cage thoracique, la bile, le ventre... Ainsi, le passage d’une matière inerte ou impure, à travers les 12 signes du zodiaque, permettrait-elle une régénérescence du corps, donc possiblement l’élixir de longue vie.

Sur un autre feuillet, le numéro 67, nous avons un calendrier des phases lunaires, autour d’une étoile jaune. S’agirait-il du soleil ? 12 phases lunaires sont représentées et nommées. La lune graviterait autour du soleil, donc à une époque où la révolution copernicienne n’était pas encore présente dans les milieux éclairés, universitaires et scientifiques.

Claude Lecouteux, dans « le livre des Grimoires » (Ed. Imago) note au sujet de l’influence des planètes sur des opérations magiques (voire alchimiques) : « selon la théorie des émanations, les planètes dispersent leur puissance dans la nature. En regroupant les éléments qui la recueillent, c'est-à-dire en réunissant les maillons d’une chaîne de sympathie – à savoir : une planète, une pierre, une plante, un métal, un volatil, un quadrupède, un poisson – on obtient un effet qui dépasse largement la vertu naturelle de chaque élément ».
Il est donc compréhensible que la conjonction des planètes entre elles, et/ou des éléments les caractérisant, puisse produire des effets magiques. Telle peut se justifier la présence dans le manuscrit des signes zodiacaux dont la fonction première est bien de faire ressortir le pouvoir et influence des planètes.

c) Section Pharmacopée

Le feuillet numéroté 75 et le 78 également, outre le texte, est particulier dans sa signification. Le texte est quant à lui d’une composition identique aux autres feuillets. La lecture des dessins est verticale et met en scène des nymphes, de l’eau et différents conduits véhiculant l’eau, ou au moins un fluide (fluide corporel). Les nymphes se délassent dans ce bain, une est sur le dos, une autre met un premier pied avant de s’y aventurer. C'est à dessein que nous avons utilisé le verbe "délasser" car il fait référencer aux pratiques contemporaines, mais en fait, ces nymphes sont simplement dans un élement liquide, un fluide pour lequel elles sont à la source dudit fluide, et non leur utilisatrices.
Le dessin le plus étrange est celui du feuillet 78. L’on a des plantes, des tubulures, des cylindres et des bains dans lesquels sont les nymphes. Il semble, à notre avis, qu’il s’agit d’une recette d’un élixir de longue vie : les plantes étranges, telles qu’on les a décrites ci-dessus, se transforment dans les tuyaux et les cylindres. Il s’agirait ici d’alambic avec ses différentes étapes que l’auteur a nommées, transformant les plantes et les fruits en un nectar, en un suc particulier. Nous n’envisageons pas l’hypothèse d’un chapitre « pharmacopée » car l ‘idée d’un bain de jouvence collectif n’est pas la guérison d’un individu, mais d’une recette pour tous. Et c’est l’image que nous voyons : un processus progressif et linéaire, issu au départ de plantes bénéfiques, et conduisant par étapes à produire l'élixir de l’éternelle jeunesse. L’auteur a extrêmement peu habillé ses personnages, et le terme nymphe que nous avons maintes fois employé évoque la femme dans son état naturel. Pour être complet, il faudrait ajouter que ce bain de jouvence pourrait être un bain de fertilité, mais il est difficile de juger de la rondeur de certaines nymphes eu égard à notre idéal de nos jours de femmes minces. Celles de Rubens ou d’Ingres étaient plutôt enveloppées. D'autres époques, d'autres moeurs ou représentations. Le bain a un effet aussi de séparer le pur de l’impur. Que ce soit un bain de fertilité, de pureté, ou un bain de jouvence, les deux ont une connotation marquée de produire la vie et la jeunesse.
Le feuillet 82 est plus difficile à interpréter. Serait-il une évolution des feuilles précédentes ? Le bas de la feuille reprend le thème que nous évoquions ci-dessus : des nymphes dans un bain. Par contre, le dessin en haut de la page représente deux nymphes sortant, celle de gauche d’un calice géant et orné, et celle de droite d’une trompe immense. La main de chacun d’elle est rentrée dans une tubulure courbe, et ces 2 tubulures sont reliées à un calice renversé, à une fontaine sculptée.
En dessous, une autre nymphe dans un calice d’une autre forme. Sa main est rentrée dans une tubulure en forme de croix, à droite de laquelle des racines (ou des flammes) ont l’air d’émerger, de sortir en forme de jet. Une sorte de fruit sort de ce jet lui-même relié à un fil qui se finit avec une étoile qui reste au dessus d’une autre nymphe couchée. Il y a donc un fluide qui se propage et qui crée. Ces calices « géants » peuvent par le liquide qu’ils détiennent créer la vie. Les tubulures étant le conduit par où la vie se construit et prend forme, c'est à dire prend consistance pour passer à l'étape suivante : les influences astrologiques.

Nous avons la confirmation avec le feuillet 98 qui contient des dessins multiples de différentes racines, de différentes plantes, et sur la marge de gauche, trois calices, trois pots de pharmacopée, ornés les uns et les autres différemment pour suggérer bien sûr une différence dans la forme, mais avant tout une différence quant aux liquides, aux produits qu’ils détiennent. Ils sont posés debout, ce qui est naturel. Par contre, dans le feuillet 82, un pot de même nature est renversé pour signifier qu’il se vide, et crée donc par son fluide la vie, représentées par les nymphes sortant par exemple d’une corne, d’un conduit, d’une matrice. C’est une autre forme de naissance... ce qui n'est pas anormal car comment pourrait-on parler d'élixir de longue vie dans ce manuscrit dans évoquer la naissance (pas la naissance au sens médical du terme, mais le début de la vie, la toute première jeunesse).
Un autre feuillet représente une cascade de l’élixir de vie que passe différentes nymphes situées dans des ouvertures de « tubes ». Au bas de la page, une nymphe est dans la peau d’une sirène. Et quelques bêtes viennent s’abreuver dont il serait délicat d’affirmer qu’ils sont plus que des canidés. La particularité du feuillet suivant est que le texte est écrit dans 4 positions différentes : haut, bas, droite et gauche. Il faut donc faire pivoter la page pour bien lire. A chaque texte est associé une sorte de plante étrange de laquelle émerge parmi les spores un oiseau, un canard et deux nymphes. La vie pourrait donc naître directement de plantes magiques.

Après cette description plus détaillée, l’on se demanderait naturellement ce qu’est ce manuscrit. L’on ne tentera pas de répondre ici car la réponse supposée doit être apportée après une réflexion construite.

Cependant, nous pouvons déjà présupposer ce qu’est ce manuscrit. :

Un traité alchimique
Un traité encyclopédique
Un texte rédigé volontairement pour « provoquer » [l’église]
Un exercice de cryptographie avec un simple contenu
Des prophéties, des révélations…
Un livre d’apprentissage

Plusieurs hypothèses sur le texte lui-même :

un langage naturel crypté (latin, allemand, français, hebreu, grec…)
Un langage inventé sans contenance ou signification
Un langage codé (simple, multi-substitution, Vigenere…)
Un langage artificiel
Une écriture aléatoire

Enfin, nous reprendrons dans un chapitre ultérieur chacune de ces hypothèses pour pousser notre raisonnement à la lumière de tout ce qui aura été construit précédemment.